C’est à lui que l’on doit l’expression « être cocu », lui l’oiseau que l’on entend sans jamais le voir, qui se fait passer pour un rapace sans en être un, et qui n’élève pas ses rejetons ! Comment expliquer que l’on déteste plus souvent cet oiseau qu’il ne nous fascine ? Le Coucou gris, à bien des égards est pourtant une espèce vraiment fascinante. Partez avec moi à sa rencontre !
Plantons le décor !
Au cœur de cette minuscule roselière, je m’avance de bon matin… La brume environnante étale son manteau cotonneux, je distingue à peine les gigantesques Trembles tout proches. Leur masse immense me donne l’impression de côtoyer d’infernaux géants sortis des brumes froides. Il faut dire qu’en Bretagne, on dit que l’enfer est froid : “an ifern ien” peut-on lire en breton sur les parements d’une vieille église ! Et je vous prie de croire que dans ces conditions, tout se prête à la légende. Du chant lugubre et lointain du Corbeau freux jusqu’à la branche aiguisée d’un Prunellier qui vous frôle maladroitement le bras ! “Mais la lumière naît de la nuit” et le soleil ne tarde pas à chasser la brume envoûtante. Je sens déjà sa chaleur réchauffer mes joues. Il faut vous dire que je suis installé dans un bas-fond, au centre d’une vieille prairie permanente habitée de Tariers, de Bruants, de Chouettes, de quelques Chevaliers et d’un… Coucou gris !

La discrétion du Coucou gris :
Comme d’autres, je me souviens parfaitement de la première fois où j’ai aperçu le Coucou ! “Pas étonnant” me direz-vous… Le Coucou se mérite, la plupart du temps. Pouvoir le photographier encore plus. Combien ai-je entendu de personnes me disant l’avoir entendu sans jamais le voir ? C’est classique chez cet oiseau plus que discret… Cette discrétion est même au cœur de sa vie, j’y reviendrais. Il est vrai qu’on entend plus souvent l’oiseau qu’on ne l’observe, et je mesure la chance qui m’a été donnée d’observer pendant presque une semaine d’été, deux juvéniles dans une prairie ! Une telle chance ne se répétera sans doute pas avant quelques mois voire avant quelques années tant l’espèce sait se faire discrète !
Discret, mais par pour le chant !
Encore que ! Lorsqu’il revient de migration au début du mois d’avril, le mâle Coucou gris chante beaucoup. C’est normal : il s’agit de dire « je suis là » et de chercher une partenaire afin de se reproduire ! Passée cette période, la campagne n’entendra pour ainsi dire plus le célèbre chant qui a d’ailleurs donné son nom à l’espèce. Eh oui, ce dernier point n’est pas si courant, encore une anecdote étonnante ! Au fait, on dit que le Coucou Coucoule[1], joli non ?
Le Coucou gris, un rapace ?
Regardez-le ce fier gaillard ! N’a-t-il pas quelques airs de Faucons ? De loin il y a vraiment de quoi se tromper et ce n’est évidemment pas anodin. Si l’apparence du Coucou gris rappelle celle d’un rapace, c’est que cela lui permet de donner le change quand il est dans la place ! Et de faire fuir les petits passereaux occupés à couver leurs œufs…
L’étonnant mode de reproduction du Coucou gris :
Comment faire l’impasse sur le sujet ? Bien sûr le Coucou gris est connu du grand public pour son étonnant mode de reproduction : le parasitisme de couvée (un parasitisme interspécifique) ! Et c’est aussi certainement ce qui lui vaut d’être détesté… Cet oiseau qui s’invite dans le nid des autres remporte rarement l’adhésion du grand nombre tant son comportement interroge ou choque. Pourtant, il n’y a rien à changer dans ce comportement naturel. L’espèce ne fait que jouer le rôle que l’évolution a bien voulu qu’elle occupe. Et la présence des Coucous gris dans nos écosystèmes est naturellement essentielle.

Un Coucou gris sans nid :
La femelle Coucou gris ne construit pas de nid. Elle compte sur une espèce hôte pour couver son oeuf et élever le petit Coucou qui en sortira ! En pondant son oeuf (un seul par nid parasité) dans le nid de l’espèce ciblée, la femelle prend soin d’éjecter un œuf. Eh oui, c’est terrible mais rien ne doit trahir son passage : un oeuf de trop, c’est une preuve de l’effraction !
Une soixantaine d’espèces sont connues pour être régulièrement parasitées par le Coucou gris, mais il faut souligner que certaines d’entres elles sont largement plus parasitées que les autres : c’est notamment le cas des Rousserolles. Ces petits oiseaux des milieux aquatiques sont en effet une cible privilégiée ! Cependant, certaines d’entre elles comme la Rousserolle Verderolle[2] ont développé un véritable talent pour déjouer la supercherie du Coucou et éjecter l’œuf étranger à leur couvée. La Rousserolle effarvate, elle, se fait avoir presque à chaque fois ! Encore que… certaines d’entre elles, lorsqu’elles comprennent la supercherie rebâtissent un nid au-dessus du premier qui accueillera une nouvelle ponte[3] !
Pondre un œuf en 10 secondes :
Comment le Coucou parvient-il à pondre dans le nid d’une autre espèce sans que celle-ci ne s’en aperçoive ? Je dois rappeler une caractéristique de la reproduction des oiseaux qui rend l’acte de la femelle Coucou bien plus facile à réaliser qu’on ne le pense au premier abord : les œufs de l’espèce ciblée par le Coucou ne commencent à être couvés qu’une fois qu’ils ont été tous pondus… A raison d’un œuf pondu quotidiennement, cela laisse une marge de manœuvre de quelques jours à la femelle Coucou pour passer à l’action. Cette dernière intervient donc alors même que la couvaison n’a pas débuté. Aucune chance de tomber sur un oiseau en pleine couvaison… Et si c’était le cas, la femelle Coucou passerait son chemin ! Cependant, il arrive que le Coucou soit en retard, la couvaison a déjà débuté ! Mais rien n’est perdu : Il faut savoir que la couvaison, ce n’est pas du 24h sur 24. Les oiseaux sortent du nid régulièrement quelques instants pour se dégourdir pattes et ailes ou pour se nourrir (pour les espèces dont le partenaire ne nourrit pas au nid). Enfin et c’est la clé du mystère, la femelle Coucou est capable de pondre son œuf très rapidement ! En quelques secondes à peine, le Coucou pond son oeuf et en emporte un autre dans son bec !
La spécialisation des femelles Coucou gris :
Le saviez-vous, les œufs pondus par le Coucou sont adaptés à l’espèce parasitée[4] ! Que ce soit en taille ou en couleur, l’œuf du Coucou ressemble à ceux de l’espèce parasitée. Par quel mystère ? En fait, chaque femelle Coucou pondra préférentiellement ses œufs dans les nids de l’espèce qui l’aura élevé ! Bien sûr ce n’est pas toujours le cas. Parfois l’espèce ciblée n’est pas présente en nombre suffisant dans la zone surveillée par le Coucou. Dans ces cas, la femelle Coucou, par défaut et opportunisme investira le nid d’une autre espèce. Tant pis pour la différence visuelle entre les œufs !
Pas tous ses œufs dans le même panier !
Et d’abord, pourquoi subtiliser un seul œuf par nid parasité ? Parce qu’on ne met pas tous ses œufs dans le même panier. En procédant ainsi, le Coucou gris met toutes les chances de son côté pour qu’au minimum quelques juvéniles parviennent à l’âge adulte !
Le "bébé" Coucou gris, un véritable tueur ?
C’est là que certaines et certains bloquent. Après son éclosion, qui survient toujours plus tôt (un autre avantage de l’évolution) que celle de ses « frères et sœurs de nid », le jeune Coucou expulse du nid les œufs ou poussins de l’espèce parasitée. Un crime au plus jeune âge ! En fait, les jeunes Coucous gris ont une zone ultra sensible au niveau du dos : ils ne supportent aucunement le contact physique des autres œufs avec cette zone…

Comment chanter le chant de son espèce quand on est élevé par une autre ?
Quand on sait que le Coucou gris n’élève ses petits, comment ces derniers parviennent-ils à reproduire le chant typique de leur espèce ? Comment se fait-il que l’espèce qui les élève ne leur transmette pas son chant ? Pourquoi les Coucous ne sont-ils pas imprégnés par les différentes espèces qui les élèvent ? En fait, les jeunes Coucous gris sont vraiment peu sensibles à la notion d’apprentissage. Au moment où les juvéniles des autres espèces sont au nid et apprennent de leur parent par l’observation et par l’imitation, les capacités d’apprentissage des jeunes Coucous sont inhibées. C’est ce qui les rend tout à fait “imperméables” au phénomène d’imprégnation. En réalité, le chant de l’espèce est totalement inné ! Notez qu’il n’est pas particulièrement compliqué non plus (pardonnez ma taquinerie). « Espèce parasite” qui s’invite chez les autres, Le Coucou se doit “d’exister vocalement”. Afin que les adultes Coucous puissent entrer en contact, pour la reproduction ! Par nécessité donc, le jeune Coucou n’apprend de ses parents adoptifs ni la voix, ni les moeurs ! Des expériences ont même montré qu’un jeune Coucou en complet isolement auditif n’aura aucun problème pour chanter… Incroyable non ?
Nicher chez les autres, une spécialité du Coucou gris ?
Non ! Certes, la plupart des espèces n’ont pas développé une telle méthode de reproduction, mais on ne peut pas dire pour autant que le Coucou gris est un cas isolé. Il y a même des espèces communes, qui ont tendance à agir de la même manière. Enfin presque, pour elles on parlera de parasitisme intraspécifique (c’est-à-dire au sein de l’espèce) : l’Etourneau sansonnet[5] par exemple se trompe parfois de nid et pond dans un autre nid de la même espèce ! On retrouve le même phénomène chez la Foulque macroule[6] ! Et quelques autres encore…
Les Coucous gris sont-ils logés à bonne enseigne ?
La stratégie du Coucou est-elle vraiment efficace ? On serait tenter de répondre « bien sûr ». Puisque l’espèce ne s’est pas éteinte, c’est donc que cette stratégie de reproduction si particulière n’est pas dénuée d’intérêts ! Oui mais, quel est le taux de réussite de cette reproduction ? En fait, il est plutôt bas. Ce qui est compensé par une ponte souvent importante de la femelle Coucou ! Pondre dans le nid d’une autre espèce et compter sur l’espèce hôte pour mener à bien une couvée ne garantit pas toujours le succès. Attention néanmoins, car je ne parle ici que du Coucou gris ! D’autres espèces de Coucou existent dont une en particulier (le Coucou geai) visible en France et qui apporte des bienfaits à la nichée qui l’accueille. Pour en revenir à notre Coucou gris, peu de juvéniles parviennent jusqu’à l’âge adulte. Comment cela est-il possible ? Tout simplement parce que l’œuf de Coucou pondu par la femelle n’est pas toujours placé dans le nid de l’espèce adéquate ! Certains œufs sont pondus dans le nid de granivores stricts (or le jeune Coucou a besoin d’être nourris avec des insectes). Ou bien chez des espèces chez lesquelles le nourrissage est déclenché par un indispensable stimulus de l’oisillon sur le bec du parent, stimulus inconnu du jeune Coucou gris. C’est notamment le cas des Linottes mélodieuses chez lesquelles l’oiseau doit « pincer » le bec parental pour déclencher le nourrissage. Dans ces cas-là, le jeune Coucou meurt petit à petit, faute d’être correctement nourri. Terrible !
Le Coucou gris et les changements climatiques :
Cependant, malgré le faible taux de réussite, l’espèce parvient à se maintenir en temps normal ! Mais depuis quelques décennies, les populations sont en déclin. Sans doute le changement climatique n’y est pas pour rien. C’est du moins la thèse avancée : l’espèce se nourrit principalement de chenilles qui, du fait du changement climatique, émergent en décalage avec le moment où le Coucou gris en a besoin. Moins de nourriture au moment où elle est nécessaire, c’est moins d’individus au final… Mais il faut aussi tenir compte du fait que le changement climatique recule ou avance le calendrier de nidification des espèces parasitées : l’œuf du Coucou n’est plus pondu au moment opportun mais quelques jours trop tard… Pour toutes ces raisons, la ponte des femelles Coucou est importante chaque année : en moyenne, une dizaine d’œufs est pondu mais cela peut s’élever à 25 !
Conclusion :
Bon il pond dans le nid des autres, il n’élève pas ses petits, il n’apprend même pas à chanter… Et je m’étonne encore qu’il soit si déprécié ! Si ses mœurs choquent, il ne faut pas oublier qu’il ne fait que remplir le rôle que la nature et l’évolution l’ont amené à occuper… Gardons nous de trop vite juger la nature avec notre morale humaine qui ne s’y applique pas pour la régir !
Comment se porte le Coucou gris ?
L’espèce se rencontre à peu près partout, elle n’a pas vraiment d’optimum écologique et sait s’adapter à une grande variété de milieux. Elle est malheureusement considérée aujourd’hui en déclin modéré en France[7] (STOC 2019). Les dernières données semblent cependant montrer une évolution de la situation de l’espèce en France. A l’échelle européenne, le PECBMS (Pan-European Common Bird Monitoring Scheme) classe le Coucou gris en déclin modéré également[8]. L’organisation note en revanche un fort déclin en Grande-Bretagne.
- Nom scientifique : Cuculus canorus,
- Taille : envergure comprise entre 55 et 65 cm,
- Identification : simple,
- Répartition : généralisée,
- Statut : espèce en déclin modéré.
Notes et références :
[1] Pierre Cabard, L’éthymologie des noms d’oiseaux, Delachaux et Niestlé, Paris, 2022, p.274.
[2] https://www.youtube.com/watch?v=rps4VU1K4G4
[3] Armando Gariboldi & Andrea Ambrogio, Le comportement des oiseaux d’Europe, Quatrième édition, La Salamandre, Neuchatel, 2019, p.466.
[4] RUIZ-RAYA Francisco, SOLER Manuel, « Contrer les mauvais coups du coucou », Pour la Science, 2021/1 (N° 519 – janvier), p. 34-41. DOI : 10.3917/pls.519.0034. URL : https://www.cairn.info/magazine-pour-la-science-2021-1-page-34.htm
[5] https://avibirds.com/wp-content/uploads/pdf/spreeuw13.pdf
[6] Podulka, Sandy, Ronald W. Rohrbaugh, Rick Bonney, et Cornell University. Laboratory of Ornithology., Handbook of bird biology, Ithaca, N.Y.Princeton, N.J., Cornell Lab of Ornithology; In association with Princeton University Press, 2004.
[7] https://www.vigienature.fr/fr/coucou-gris-3408
[8] https://pecbms.info/trends-and-indicators/species-trends/species/cuculus-canorus/?search=cuculus%20canorus
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